La rencontre avec Charles Rostan au Domaine Royal de Randan
Ce jour là il pleuvait averse. Le village de Randan est à une quarantaine de kilomètres de Clermont-Fd. J’empruntai la route départemental, celle qui passe par Maringues. Je voulais voir les champs gigantesques de la plaine de la Limagne. En les traversant, me revenaient alors les souvenirs des journées ensoleillées lorsqu’adolescent nous venions travailler comme saisonnier pour la castration des maïs. Un travail pas compliqué qui consiste à aller chercher la fleur non éclose (avant pollen) au milieu des feuilles protectrices tout en haut du pied de maïs puis de l’arracher une fois bien en main, enfin la jeter au sol… On a un pied de maïs tout les dix/vingt centimètres, les rangées dans les champs font plusieurs centaines de mètres. Des dizaines de rangées, des dizaines de champs… Les premiers jours de ce travail ingrat, nous étions vidés physiquement par cette tâche répétitive avec une douleur intense dans les mains, les avant-bras et les épaules. Mais le souvenir qu’il m’en reste est que nous étions au grand air, au contact de la nature, des agriculteurs, des animaux, des tracteurs et du foin… Parfois nous faisions des rencontres, des amourettes. À quatorze ans, je me suis payé, en partie, ma première mobylette avec ces quelques francs que je gagnais.
Lorsque je pénétrai dans le domaine Royal par le portail de fer ouvragé surmonté de deux lanternes dignes d’un domaine Royal et qui ouvre sur l’allée principale bordée de grands arbres, je fus éblouis par la beauté du site. Je me rendis sur le lieu de l’exposition de Charles : les serres du Château. En arrivant, je le vis sous la pluie battante, à moitié protégé par les grands arbres du domaine à quelques mètres de ses œuvres. Je me présentai rapidement et nous trouvâmes refuge dans la serre appelée l’Orangerie où je lui exposai mon projet.
Charles ne parla pas pendant mon exposé. Mais il écouta attentivement mon histoire qui est aussi celle d’un déracinement. Quand à la fin, je lui demandai si cela lui plaisait, il se contenta de me tendre la main en signe d’accord, comme pour signer un pacte. Le contact de nos mains scella ce pacte et, comme une parole donnée, je sus dès lors que j’avais trouvé un fabriquant d’images talentueux pour mener à bien ce projet.
Après notre entretien, Charles me raccompagna jusqu’à la grille du Château. Soudain, en arrivant dans l’allée centrale du Domaine, il se mit à pleuvoir une énorme averse. C’est sous un Barnum blanc installé pour l’occasion que nous nous jetâmes, trempés, pour être à l’abri et nous finîmes la visite dans une ambiance surréaliste.
Nous étions une dizaine de personnes venues nous abriter sous le Barnum. Parmi nous, trois saltimbanques musiciens conteurs et magiciens avaient pour mission d’amuser le public estival du domaine Royal et disposaient d’un piano droit, une clarinette, des cartes à jouer et quelques accessoires de spectacle. L’espace exigu et la pluie tout autour de nous nous rapprochaient les uns des autres. C’est alors qu’ils se mirent à improviser un spectacle de chansons, de blagues et de tours de magie, à notre grande joie, avec d’autant plus d’entrain que la situation était drôle. Nous étions là, sous un Barnum assistant à un spectacle de « music-hall », littéralement encerclées par la pluie comme sur un îlot à la dérive en pleine mousson, une croisière maritime en Écosse.
L’ambiance joyeuse qui s’installa dès les premières notes de piano et de clarinette, nous emporta et nous chantâmes et nous rîmes pendant une bon moment jusqu’à ce que la pluie cessa.
Une belle fin d’après-midi, une belle rencontre.
Antonio Alvarez
Né à Valencia (Espagne) en 1961, la même année que la Muraille. J’ai fait toute ma scolarité à Clermont-Ferrand, de la maternelle Nestor Perret jusqu’au Beaux-arts de la Halle aux blés (1980-1981). Puis, je me suis expatrié à Nice en 1982 pour y terminer pendant quatre ans mes études artistiques à la Villa Arson. Je suis resté à Nice pendant vingt trois ans et ai fondé une famille.
Après avoir été « performer » pendant une courte période, j’ai exercé la profession de graphiste-infographiste pendant une quinzaine d’années en agence de publicité ou de communication puis comme free-lance depuis une vingtaine d’années à Marseille où je réside maintenant. J’ai collaboré une dizaine d’années comme infographiste de cinéma (grosses productions).
Aujourd’hui, proche de la retraite, je suis de retour en Auvergne pour accompagner ma mère et finaliser ce fabuleux projet riche de rencontres et de retrouvailles.
Charles Rostan
Né en 1969 à Buôn-Ma-Thuột, Charles Rostan est un artiste qui vient du sud du Vietnam. Musicien, réalisateur, vidéaste puis photographe, Charles a affûté son regard à l’épreuve de plusieurs centaines de projets audiovisuels (documentaires, films publicitaires, captations de spectacles), avant de se consacrer pleinement à la photographie. C’est ce média qui lui permet de libérer sa force créatrice et d’exprimer sa sensibilité d’être humain profondément affectée par l’expérience du déracinement.